I. Romaine Rivière: la dévotion religieuse au service de la Révolution
Romaine Rivière, également surnommée “Romaine-la-Prophétesse”, est une figure emblématique de la résistance haïtienne au XVIIIème siècle. Bien que ses origines restent encore floues à l’heure actuelle, plusieurs sources s’accordent à la qualifier de griffe (c’est-à-dire une personne d’un quart Blanche et trois quarts Noire). Elle serait issue du Royaume du Congo et considérée comme une personne Noire libre.
Sa notoriété est à la fois justifiée par son rôle de cheffe au sein de la partie sud de la colonie haïtienne, mais également par son fort ésotérisme religieux. En effet, Romaine-la-Prophétesse se définit comme la “Filleule de la Vierge Marie”, lui faisant passer divers messages, dont celui de libérer tous les esclaves de la colonie.

Romaine Rivière, Illustration Chevelin Pierre 2025.
II. Une révolution guidée par la foi et l’ambition

Lorsqu’elle prend part à la Révolution à partir de l’année 1791, elle dispose d’une situation relativement stable puisqu’elle est mariée, a deux enfants et est propriétaire de terres. Elle occupe un mausolée catholique et administre les sacrements, ce qui inspire alors les troupes à se révolter contre les violences qui ont lieu au sein des plantations.
De là, Romaine Rivière établit un camp de base à proximité de Léogane, au cœur du village de Trou Coffy. Il est à noter qu’il s’agit d’un environnement très montagneux, les activités de la Prophétesse s’étendant jusqu’à la région de Jacmel, le territoire est relativement homogène en ce sens.
En octobre 1791, une alliance se crée avec l’élite métisse lorsque celle-ci prend le contrôle des terres et de la mer de Léogane. Néanmoins, le fanatisme religieux très poussé de Rivière, ainsi que son désir grandissant de devenir Reine de Saint-Domingue l’empêchent de se faire soutenir de manière durable. Cela ne la dissuadera pas d’élargir ses ambitions révolutionnaires puisqu’elle prend d’assaut la ville de Jacmel en novembre 1791, à l’aide de 13 000 esclaves.
Darmet J. , Carte, géographique, statistique, historique et politique de l’île de Saint-Domingue, BNF
L’année 1792 signe à la fois l’apogée, mais également la chute de la Prophétesse. Elle parvient à unir les personnes métisses, blanches et les prisonniers afin de leur faire signer un traité la reconnaissant comme “Commandante des citoyens assemblés” dans la ville de Léogane. Cette prise de pouvoir ne dure qu’un court instant, puisqu’au mois de mars 1792, Saint-Léger, commissionné par Napoléon, finit par démanteler Rivière et ses troupes sur l’ensemble du territoire. Plusieurs mythes ont été érigés autour de cette chute, notamment le fait qu’elle se soit envolée avec la Vierge Marie lorsque Saint-Léger était sur le point de l’arrêter.
III. Une identité de genre entre mysticisme et subversion sociale
Il est important d’établir un point sur l’identité de genre de Romaine Rivière, tout en évitant d’adopter un point de vue contemporain et occidental purement anachronique concernant ce type de questionnement.
Les pratiques et croyances spirituelles à Haïti confèrent une place importante à la femme, porteuse d’autorité religieuse et de pouvoir politique. Les traditions oraculaires sont alors largement pratiquées par ces dernières. Cependant, il est possible que certains hommes y accèdent également, notamment s’ils expriment une part de féminité importante. Ces personnes sont appelées “masisi”, signifiant “homme féminin”.
Si plusieurs sources s’accordent pour affirmer que Romaine Rivière se présente avec des attributs féminins, notamment dans la manière de se vêtir, il serait anachronique de la considérer comme une femme transgenre à part entière. Ses motivations étant principalement basées sur la pratique spirituelle et son désir persistant d’être lié à la Vierge Marie. Néanmoins, puisqu’elle se définit elle-même comme une “Prophétesse” tout en adoptant des attributs en lien, il est intéressant de faire part de son histoire d’un point de vue féminin. D’une part car elle s’en approprie les codes et d’autre part, le genre peut témoigner d’une construction s’appuyant sur des critères extérieurs à la biologie. Bien que ce phénomène ait été théorisé récemment, il n’est pas pour autant inhérent à la société contemporaine. Si les termes diffèrent, il est bon de rappeler qu’ « être femme » se traduit sous plusieurs spectres. En ce sens, le choix de traiter La Prophétesse comme tel permet de mettre en lumière cet aspect.