I. Une vie marquée par la tragédie
Dédée Bazile, également connue sous le nom de Défilée La Folle, est une figure bien mystérieuse de l’histoire haïtienne. Figure de la société esclavagiste, son histoire oscille entre la légende et la réalité d’une femme ayant tout perdu. Elle est la figure d’un mouvement social mouvant, une époque transitoire pendant et après la révolution où le territoire haïtien fut en quête de stabilité entre la colonisation et l’impact que cela a eu sur les citoyens restants. Elle est née dans les environs du Cap-Français, de parents esclaves, et subit à partir de ses 18 ans les pires outrages de la part des colons. Lorsque les guerres d’indépendance éclatent, son inquiétude la ronge, alors elle devient vivandière et évolue à l’ombre des troupes indigènes à partir de 1802. Un soir, environ six cents esclaves se réunissent pour une “bamboche” au Doco, une haute montagne où les esclaves se retrouvent pour s’amuser en toute intimité. Cependant, ce soir-là, ils tombent sur les hommes du général français Rochambeau et sont tous massacrés, parmi eux, trois frères et deux fils de Dédée Bazile. Elle est complètement détruite par la nouvelle et sombre progressivement dans la folie.

Défilée La Folle, Illustration Chevelin Pierre 2025.
II. Dans l’ombre de Jean-Jacques Dessalines
Néanmoins, elle continue de suivre les régiments armés et développe un amour et une obsession pour l’empereur haïtien Jean-Jacques Dessalines. Elle utilise un long bâton en guise d’épée et marche au pas aux côtés des soldats, s’arrêtant lorsqu’ils s’arrêtent. Puis, comme électrisée par la voix du commandant, à chaque ordre donné, elle lève son bâton et crie : « Défilez, défilez »… Toute fière, elle s’imagine que l’armée obéit à ses ordres. C’est de là que vient son surnom historique. Le 17 octobre 1806, l’empereur décide d’aller écraser la révolte du sud, là où des indigènes ayant servi pour la France décident de racheter les terrains agricoles des colons, ce qui déplaît à l’empereur qui souhaite que tout revienne à l’empire. Elle a alors le triste privilège d’être présente au Pont-Rouge, où les sacrificateurs de l’empereur accomplissent leur œuvre impie, sous ses yeux horrifiés. Le corps de Dessalines est transporté en brancard, et elle le suit sans relâche pendant des kilomètres. Vers la tombée du jour, les membres ensanglantés de Dessalines sont abandonnés sur la chaussée. Retrouvant un soupçon de lucidité et dans un geste d’amour, elle rassemble les membres dans un sac. La charge étant trop lourde, elle se fait aider par Dauphin, un va-nu-pied, devenu fou. Ils veulent créer pour le héros une sépulture digne de ce nom. À eux deux, ils accomplissent cet acte que les générations à venir considèrent comme un geste de réparation.

Défilée découvrant la mort de l’empereur Dessalines (1806), Monique Serres, sous licence CC BY-SA 4.0.
Chaque année, le 17 octobre, des événements sont organisés au Pont-Rouge pour commémorer l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines. C’est une occasion privilégiée pour rappeler son héritage et mettre en lumière l’histoire de Défilée
III. Un symbole historique et légendaire
Chaque matin, Défilée revient au cimetière pour adorer son idole. Nuit et jour, elle ne cesse jamais de venir le voir ainsi que ses frères et ses enfants jusqu’à sa mort en 1816. Défilée est souvent vue comme une folle par l’histoire officielle d’Haïti, plutôt que comme une figure historique. Pourtant, en protégeant le corps du père de la nation des humiliations, elle offre un nouvel exemple de vie politique, rompant avec les pratiques violentes héritées du colonialisme.
Défilée incarne ainsi une figure mythique profondément ancrée dans la tradition orale haïtienne. Son histoire, transmise de génération en génération, dépasse les faits historiques pour devenir une légende vivante, symbole de résilience, de loyauté et de justice. Elle reste une figure entourée de mystère, parfois utilisée dans certaines récupérations politiques et culturelles, sa présence héroïque est toujours transmise sur l’île.
“Défilée doit être considérée comme une figure postcoloniale magistrale dans sa lutte contre les violences d’État, une artisane de la mémoire et une défenseuse des droits de la personne, contre les logiques sociales mortifères dans les sociétés post-esclavagistes.”
Sabine Lamour, L’héritage politique de Marie Sainte Dédée Bazile, dite Défilée. Recherches féministes, 34(2), 107–122.
Les récits historiques sur Défilée sont rares et souvent influencés par des récits nationalistes, rendant sa biographie ambiguë. Pourtant, elle demeure une figure majeure du folklore et de la littérature haïtiens. Son histoire perdure à travers les chansons, les proverbes et la tradition orale. La chercheuse Jana Evans Braziel la considère comme un lieu de mémoire, préservant l’histoire collective d’Haïti, affirmant : “La légende naît de l’histoire, et les romans des légendes — Défilée existe dans l’entrelacement de l’histoire, de la littérature, du mythe et du folklore.”
Braziel, Jana Evans (September 2005). “Re-membering Défilée: Dédée Bazile as Revolutionary Lieu de Mémoire“. Small Axe. 9 (2): 57–85
La mémoire de Défilée dans l’art et le folklore
Massillon Coicou, L’empereur Dessalines, un drame en deux actes, 1907. Cette pièce de théâtre retraçant la vie du révolutionnaire accorde une place importante à Dédée Bazile.
À partir de l’occupation par les États-Unis en 1915, plusieurs poèmes nationalistes vont émerger afin de résister en faisant vivre les figures légendaires haïtiennes, Défilée revivra par la plume de Christian Werleigh.
Ouanga !, Clarence Cameron White, 1932 . Un opéra crée à Chicago, qui narre l’histoire des personnages importants de l’indépendance haïtienne, Défilée en est un personnage fort.