I. Une femme au grand coeur
Née en 1758 à Léogâne, peu de gens connaissent aujourd’hui l’histoire de Marie-Claire Heureuse Félicité Bonheur, femme au grand coeur et figure majeure de la révolution haïtienne. Élevée au sein d’une famille modeste, Marie-Claire verra très tôt son éducation confiée à sa tante Élise Lobelot, gouvernante chez les religieux de l’ordre de Saint-Dominique. C’est dans ce cadre paroissial qu’elle grandit et acquiert des valeurs chrétiennes de charité et de bienveillance, qui la définissent à travers sa vie.

Marie-Claire Heureuse Félicité Bonheur, Illustration Chevelin Pierre 2025.
II. Haïti et la guerre civile

À partir de 1799, Haïti est en proie à une guerre civile, la guerre du Sud, qui oppose Toussaint Louverture et André Rigaud, deux chefs de guerre de la révolution haïtienne, mais également Noirs et Mulâtres (enfants métisses ayant un parent noir et un parent blanc). Cette lutte pour le pouvoir et le contrôle du territoire entre les deux hommes les conduit à s’affronter à Jacmel en 1800. Alors que la ville est occupée, Marie-Claire réussit à recevoir de Jean-Jacques Dessalines, lieutenant de Toussaint Louverture assiégeant la ville, la permission de rentrer dans les murs afin d’offrir de l’aide aux blessés et affamés. Par la même occasion, elle fait parvenir des vivres, des vêtements, des médicaments et organise des repas de rues au sein de la ville.
Bouzou, Justin. D. (1892). Initiative communale. Plan de la ville de Jacmel levé d’après décision du conseil communal du 7 avril 1892. Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE AA-219.
À la fin de la guerre civile, Marie-Claire épouse le lieutenant Dessalines en avril 1800, avec qui elle aura sept enfants. Elle fait également légitimer les enfants de son mari né de relations précédentes. Se proclamant gouverneur en 1801, Dessalines affronte les troupes françaises de Napoléon Ier qui souhaite restaurer l’esclavage. Après de nombreux combats, le lieutenant devenu gouverneur proclame l’indépendance de Saint-Domingue, à qui il redonne son nom d’Haïti. En 1804, Dessalines devient empereur d’Haïti sous le nom de Jacques Ier, Marie-Claire devenant alors impératrice.
« On assistera en émoi, le 21 octobre 1801, tout juste après la guerre civile, à l’étonnant et incompréhensible mariage de cette femme au rugueux et vindicatif Dessalines. Elle ne laissera alors de conserver, même au faîte des honneurs, toujours égales, son humeur, sa douceur, sa charité active, sa force de volonté dans le bien et son élégante simplicité de mœurs »
Jasmine Narcisse, Mémoire de femmes, 1997.

Dessalines, Jacques (1805). Constitution d’Haïti [ 20 mai 1805]. Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, 4-PU-239.
III. Marie-Claire, impératrice d’Haïti

Suite à cela, Dessalines donne l’ordre de massacrer le reste des blancs encore présents sur l’île, incluant femmes et enfants. Face à la violence de son mari qui résulte en la mort de près de 3 000 à 5 000 victimes, Marie-Claire Bonheur se montre une fois de plus miséricordieuse et n’hésite pas à s’opposer publiquement à la politique sanguinaire de son époux, subvenant aux besoins des prisonniers et venant sauver des personnes menacées de massacre. Aimante et chaleureuse envers tous, elle cache et planifie la fuite de ceux-ci et serait apparemment tombée à genoux, en pleurs, devant son mari pour lui supplier d’épargner la vie des Français blancs d’Haïti.
Jean-Jacques_Dessalines : www.haiticulture
En 1806, Jacques Ier est renversé et assassiné par ses généraux, forçant sa famille à s’exiler. Ses possessions ayant été confisquées, l’ancienne impératrice mène alors une vie de pauvreté, jusqu’à ce qu’on lui accorde une pension en 1843. En 1857, l’Empereur Faustin Ier, par admiration pour son défunt mari, lui propose d’augmenter sa pension, un acte qu’elle refuse, considérant cet acte de bonté comme une manière d’acheter son pardon. Un an plus tard, Marie-Claire Bonheur s’installe aux Gonaïves chez son arrière-petite-fille, où elle réside jusqu’à sa mort en août 1858, à plus de 100 ans.
De jeune fille du peuple à impératrice, Marie-Claire Félicité Bonheur a marqué l’histoire de la révolution haïtienne par son courage et sa compassion. Il est important de préserver la mémoire de cette femme au grand cœur.